Q&R Méditation – Sciences et Spiritualités

Voici certaines questions posées autour de la méditation. Les réponses données par Cyril Castaing ont été formulées dans un contexte particulier, il s’agit donc de les prendre avec précaution.  

De formation scientifique, je me sens méfiant vis à vis de la spiritualité, ai-je tort ?

Je suis moi-même, au départ, sceptique vis à vis de ce que je pensais être la spiritualité.  Mais quand on ne s’y intéresse pas, on confond souvent spiritualité et religion et on ne comprend pas très bien de quoi il s’agit au juste. D’une formation très scientifique aussi, d’une éducation totalement athée, je n’ai pas baigné dans une ouverture à la spiritualité, c’est le moins que l’on puisse dire…

Mais peu importe notre point de départ : religieux, mystique ou scientifique, si « l’urgence » se fait ressentir du fond des entrailles, il nous faut chercher avec la vérité comme seul maître.
Dans ce cas, nous tomberons obligatoirement sur la même chose, car « la vérité est une », quel que soit le mot que nous lui donnerons. Dieu, Intelligence, Conscience ce ne sont que des concepts tant que nous ne les vivons pas. Chacun en fonction de sa sensibilité utilisera les siens. Mais les mots ne sont jamais ce qu’ils pointent.

Pour revenir à votre question, être sceptique peut donc être un atout. Mais il ne faut pas exagérer ce scepticisme, car il peut aussi devenir une fermeture à la réalité.
Pour découvrir notre vraie nature, nous devons être ouverts à son éventualité. Si nous ne le sommes pas, nous ne la découvrirons sans doute jamais. Car elle est l’ouverture même, l’accueil du présent.

En étant fermés, nous nous fermons donc à elle. Au contraire, en étant ouverts, nous vivons cette ouverture, en étant elle.
Il nous faut donc une dose de confiance et d’ouverture pour permettre à cette profondeur de se révéler. Et si notre scepticisme est devenu une rigidité intérieure, il nous en fermera l’accès.

Scientifique et spiritualité font donc bon ménage ?

Oui, mais tout dépend l’ouverture intérieure de ces approches. Le scientifique dans l’âme est aussi être un vrai chercheur de vérité. Une approche scientifique de la spiritualité a même de nombreux avantages, notamment celui de remettre en cause les idées des autres. Il faut des preuves de première main.

D’un certain point de vue, cette compréhension sera solide car elle proviendra du fruit de l’expérience. Cela permettra d’éviter les nombreux pièges des croyances et superstitions. Swami Prajnanpad était par exemple très scientifique, c’était d’ailleurs un professeur de physique.
Le risque d’une approche scientifique trop rigide existe cependant. On risque notamment d’oublier le « cœur », et sans le « cœur » la compréhension ne sera jamais complète. La recherche intellectuelle sèche est sans issue, car il faut s’impliquer totalement pour comprendre. Il faut une vision claire et un intellect acéré pour discriminer le faux du vrai, mais le mental ne peut aller au delà de lui-même.

Avec une approche trop logique – comme je l’ai eu parfois – on se ferme à certaines vérités quand elles ne rentrent pas dans les cases étroites et rigides de nos concepts existants, conscients ou non.
Or à un moment donné, il faut se rendre à l’évidence : le mental ne pourra jamais connaitre la vérité, comme il connait un objet. Et tout concept, aussi beau soit-il est un empêchement à être si nous nous y accrochons.
En science, on observe « un objet » pour comprendre cet objet. C’est une compréhension objective dans lequel le sujet, « nous », est l’expérimentateur.
Dans le domaine spirituel, la connaissance n’est plus objective. Elle se découvre par identité. « Connaître, c’est être ». L’objet et le sujet ne sont plus séparés.
On peut d’ailleurs noter que la science contemporaine, dans des domaines comme les neurosciences ou la mécanique quantique, se rapproche de plus en plus des conclusions données par les profondes spiritualités.
Dans l’infiniment petit de la physique quantique par exemple, ce que les scientifiques trouvent coïncide totalement avec l’idée que tout n’est que conscience. La réalité de la matière est d’ailleurs un axiome inventé par les grecs, qui a une grande utilité dans notre quotidien et en science, mais qui est totalement indémontrable. De même le temps et l’espace sont des concepts relatifs qui n’existent pas en dehors de notre pensée.

Vous avez fait des études scientifiques, en quoi pensez-vous que la science puisse aider à la compréhension de la méditation ?

Je pense que la science peut apporter son éclairage sur de nombreux points, et notamment sur le fonctionnement de notre corps, de nos sens, de notre mental, du cerveau, du processus de cognition etc…. Elle peut donc aider à mieux cerner ces processus dans notre fonctionnement intérieur.
Mais tout ceci ne concernera toujours que son champ d’étude. Même si celui-ci s’agrandit constamment, avec des instruments de plus en plus sophistiqués, il s’agit toujours d’objets quantifiables et observables. Le spectre de la science est le monde phénoménal et il ne peut aller plus loin, pour la simple et bonne raison que la science est basée sur l’étude des objets, des phénomènes.

Lorsqu’il s’agit de comprendre le sujet – ce que nous sommes fondamentalement qui est le but de la méditation -, elle est donc totalement inadaptée. Même si elle peut être utile pour étudier les effets de la méditation.
La science pose en axiome – donc une vérité de base qui ne peut se démontrer – l’existence du monde et de la matière.
Partant de là, il est impossible pour la science de comprendre la nature même de la réalité.
L’observation du monde et des phénomènes ne prouvera jamais leur existence et la nature de leur réalité propre. Car toutes ces observations se font au travers d’appareils et de nos sens.
Par contre, ce que prouvent ces observations – et que la science a complètement occulté, à part la mécanique quantique – c’est l’existence de la conscience, la nôtre. Ce ne sont donc pas les objets qui sont révélés par l’observation, mais le sujet lui-même… C’est la conclusion des spiritualités comme le vedanta.
Ceci étant dit, il peut être très utile d’étudier les objets du monde à des fins pratiques, et la science a tout son rôle à jouer en permettant notamment d’éviter toutes les dérives fantasmagoriques. Mais elle ne concernera toujours qu’une réalité relative aux conditions d’observation.

La science est donc inutile pour nous comprendre ainsi que le monde qui nous entoure ?

Tout dépend de ce que vous entendez par « comprendre ». Pour comprendre la nature de ce que nous sommes et celle du monde, qui sont en fait identiques, elle est limitée. Mais elle peut nous donner des indices, encore faut-il bien les interpréter.
Par contre, elle est très utile pour comprendre notre fonctionnement, ainsi que celui du monde, comprendre les évolutions, les interactions des différents phénomènes et permettre ainsi de prévoir et de construire des objets utiles pour notre vie quotidienne.
Lorsque la science reste dans ce domaine de compréhension, elle est parfaite. Lorsqu’elle devient la garante de la vérité, elle s’égare.
Elle s’occupe des objets, car elle a une connaissance objective. Mais ne s’occupant jamais du sujet, elle ne peut aller à la source. Et ce n’est pas parce que des lois scientifiques fonctionnent dans notre observation qu’elles sont universellement vraies. L’histoire de la science a d’ailleurs toujours été la remise en cause d’anciennes lois qui ne s’appliquent plus lorsque le domaine d’observation s’élargit. En science, on suppose souvent que ce qui est observé est vrai. Mais tout ce qui est observé ne peut l’être que par nos sens et notre interprétation mentale, et ce filtre on n’en a pas pris compte pendant longtemps. Mais aujourd’hui tout cela est remis en cause.

Quel intérêt un scientifique peut avoir à étudier son propre esprit ?

Tout d’abord, son propre intérêt ! Car reconnaitre ce que l’on est n’est pas une étude quelconque destinée à alimenter la connaissance scientifique, c’est la porte de la paix que l’on recherche tous.
Toutefois, il est vrai que l’étude de son propre esprit peut aussi avoir de profondes répercussions dans son métier même de scientifique.
La science dans sa forme actuelle est limitée par son approche. Certes elle progresse, connait de plus en plus de choses, elle s’approfondit, se spécialise dans des domaines de plus en plus précis et poussés, mais elle rate l’essentiel.
Pour la simple raison qu’en négligeant la compréhension de celui qui expérimente la réalité, le contenu de l’expérience ne sera toujours qu’un filtre de cette réalité.
Reconnaitre sa vraie nature permet d’informer le mental de sa limite. En revenant à la source, la compréhension éclaire les phénomènes d’une autre lumière. Le mental, qui ne peut accéder dans sa forme objective et rationnelle, à un certain niveau de compréhension tend à toujours négliger, balayer ou interpréter certains phénomènes pour conforter ses croyances.
Lorsque l’on comprend la source, cela ne signifie pas que l’on comprend tout de manière objective plus précisément et que l’on peut tout expliquer, mais tout est plus simple, plus évident, plus fluide. Et on comprend surtout que tout étant relié à une même source, il y a des connexions non-visibles qui ne doivent pourtant pas être négligées.
C’est comme étudier la médecine à partir de tous les symptômes, sans comprendre d’abord le fonctionnement du corps humain dans sa globalité. On s’évertue alors à régler des « problèmes » plutôt que de chercher à retrouver la santé.
Je pense qu’un scientifique qui reconnait sa propre nature pourrait approcher les phénomènes d’une manière beaucoup plus claire et profonde et surtout qu’il orienterait ses recherches en fonction d’un profond sentiment de gratitude et d’amour.

N’y a t-il pas une contradiction entre la pensée scientifique, logique et l’ouverture spirituelle à ce que nous sommes?

Il ne me semble pas. Au contraire, ces deux approches peuvent mutuellement s’enrichir. Mais ne faisant pas travailler le cerveau de la même façon, elles peuvent aussi effectivement s’exclure.
Le problème d’un certain état d’esprit scientifique, c’est qu’il fait fonctionner de manière assez poussée notre intelligence mentale. Il cherche à comprendre l’expérience, mais l’ironie, c’est que c’est ce fonctionnement mental qui est souvent un empêchement à vivre la compréhension profonde de la nature même de l’expérience.
Si on a une réputation et que l’on s’est construit une image de « professeur » – de « celui qui sait » comme on dit au Japon – avec un certain savoir reconnu, ça devient très difficile de lâcher ça. C’est tout le problème de l’attachement et de l’image de soi.
Pourtant, cette intelligence mentale si elle veut vraiment être « intelligente » doit mener au point de non-savoir où elle s’ouvre sur « l’inconnu ». Mais aujourd’hui, il me semble que des scientifiques de plus en plus nombreux sont ouverts à cela. Si le chercheur est sincère qu’il soit scientifique ou non, il en arrive au même point.

Quand nous expérimentons, dans ces ateliers, le corps en tant que sensation, puis en tant que vibration, est-ce que nous pouvons pour autant en conclure que la matière n’existe pas ?

Non, bien sûr. La matière est généralement le nom que l’on donne à la substance des objets qui nous semblent solides, c’est-à-dire qui peuvent être touchés. Mais il faut bien voir l’interprétation ajoutée à cette convention. Si nous revenons à l’expérience, le toucher (ou le corps) est une sensation qui est elle-même une vibration, qui est elle-même constituée de conscience. Donc, d’après notre expérience, ce que l’on nomme matière est aussi conscience.
A partir de là, on comprend la relativité de la matière, qui est donc un concept mental. Elle existe, bien entendu, d’une certaine manière puisque nous l’expérimentons, mais son sens réel n’est pas obligatoirement celui qu’on lui donne. Tout dépend le point de vue que l’on adopte et dans quel objectif.
Le passage du corps physique à la sensation, puis à la vibration et à la conscience ne provient pas d’un changement de l’expérience ou de l’ajout de concepts, mais au contraire du dépouillement des couches surimposées par notre « savoir » sur l’expérience.

Pour le quotidien, le point de vue classique est adapté, mais pour comprendre sa nature et donc aussi ce que nous sommes, il est erroné. Mais le principal souci n’est pas le fait qu’il soit juste ou erroné, c’est le fait qu’en se basant sur cette compréhension, il est la source de la souffrance.

Il nous faut d’abord voir que la matière que l’on perçoit l’est à travers notre mental. Et le contenu du mental est connu par la conscience qui en prend conscience. Donc, si on veut s’intéresser à la matière, il faudrait d’abord s’intéresser à l’esprit qui la perçoit. Sinon, c’est comme si nous étudions les couleurs à travers des lunettes rouges. Le média de connaissance impose inévitablement ses filtres sur le connu.
Donc la matière existe, mais relativement à notre point de vue, car elle n’a pas d’existence séparée de la conscience qui la perçoit.

Est-ce que ces expériences ne démontrent-elles finalement pas l’existence d’une force supérieure que l’on nomme Dieu?

Nous n’allons pas aborder ces questions philosophiques ou religieuses ici. Ce que nous allons voir est plus simple que ces débats sans fin où chacun a sa propre opinion, influencée par ses conditionnements et contextes de vie. Peu importe le nom que l’on donne à notre vécu, mais ne sur-interprétons pas l’expérience.
Ici, nous nous posons cette simple question :
« Que dit l’expérience que nous avons ? ».
L’expérience ne se réfère pas à ce que nous avons vécu dans le passé – cela correspond à la mémoire, donc des pensées -, l’expérience est ce qui se passe dans l’instant présent.
Que dit l’expérience du présent à propos de ce que nous sommes ? Après tout, si nous sommes là, l’expérience que nous avons doit bien nous donner quelques indications sur nous-mêmes.
Essayons donc de devenir des vrais scientifiques. C’est à dire de partir de l’expérience brute, sans à priori, sans mémoire, sans savoir, sans résultat à attendre et d’essayer de relater cette expérience au plus juste avec nos mots.

Ce que nous dit l’expérience est souvent tout à fait différent de ce que nous pensions la plupart du temps.
Et comme pas hasard, ce qui est expérimenté semble aussi souvent correspondre à ce que nous disent les plus profondes traditions spirituelles et c’est aussi ce qu’est en train d’esquisser les dernières recherches de la science moderne.
Nous n’avons pas à conclure obligatoirement et à poser ces constats comme un nouveau dogme, car il reste sans doute beaucoup de questions et d’interrogations en nous. Si nous faisions cela, la compréhension resterait très superficielle et assez mentale, or cette compréhension pour être valide ne peut être que vécue. Pour cela, nous devons juste laisser cette hypothèse ouverte et surtout, mettons-la au défi du présent, dans toutes les situations du quotidien. C’est ainsi qu’elle deviendra peut-être vraiment « vraie » pour nous. Essayons et voyons ce qu’il en résulte.
Mais n’oublions pas que cette recherche n’est pas un simple jeu intellectuel pour alimenter les discussions de fin de repas, la connaissance de qui nous sommes est l’antidote à la souffrance, autrement dit, cette compréhension est la paix que nous recherchons tous…

Je ne comprends pas en quoi la perception de l’objet ne prouve pas son existence mais pourrait prouver celui de la conscience?

L’objet n’est qu’une pensée, une conscience mentale qui filtre la réalité dans une relation sujet-objet en fonction de la mémoire. L’objet dépend donc uniquement de la conscience qui le perçoit, il ne peut exister seul. La conscience est l’élément essentiel dans la connaissance d’un objet. Et en définitive le seul qui existe vraiment…
Prenons n’importe quelle expérience dans l’instant. Que dit-elle ? En première approche, elle dit que nous percevons quelque chose, c’est le propre même de l’expérience.
Et quel est ce « quelque chose » ? Nous pouvons réduire tous « ces quelques choses » en 3 grandes familles. Les sensations qui correspondent au corps, les pensées qui correspondent au mental et les perceptions des sens qui correspondent au monde extérieur.
Mais ces catégories ne sont encore que des labels mentaux.
Prenons ces perceptions, que sont-elles vraiment ? Que sont ces objets perçus ? La connaissance que nous en avons reste limitée à la conscience d’eux uniquement.
L’expérience est donc faite, non pas de ces objets, mais de la conscience de ces objets. Car ces objets ne sont encore que des labels liés à notre mémoire. Qu’est-ce qu’une perception, sans la mémoire, donc une pensée, qui s’attache à elle ?
Si nous quittons cette mémoire, cette pensée, que reste-il des objets ? Un objet signifie un concept mental donc, comme nous l’avons vu, la conscience d’un objet. Et sans pensée, il reste la conscience sans objet.
L’expérience est donc faite de la conscience de la conscience, c’est-à-dire la conscience sans objet car la conscience n’est pas un objet, elle est le sujet ultime…
C’est le sujet de la méditation : trouver celui qui médite !

Si j’entends ce que vous dites sur l’instant présent, cela signifie qu’il n’existe rien d’autre que ce que nous percevons à chaque instant ? Donc, si je perçois un son, il n’y a pas de corps, pas de monde, pas d’autre chose que ce son à cet instant ?

La réalité de l’expérience de l’instant pendant que vous écoutez ce son, c’est qu’il n’y a effectivement pas de corps ou pas de monde dans votre perception. Mais n’en concluez pas que seul ce son existe. Car ce son est aussi une interprétation. Si vous allez au fond de l’expérience de l’instant, il n’existe pas plusieurs choses, ni une « chose ». En fait, il n’y pas de « chose », car lorsqu’il n’y a plus d’interprétation du vécu par le mental, il ne reste que l’indéfinissable. Mais nous sommes malgré tout présents et conscients, nous appelons donc ce qui « reste » la conscience ou la présence. Et comme dans cette présence, il n’y a alors plus aucun conflit, c’est aussi la paix.
Mais cette conscience, dans notre état de veille, prend des formes différentes à travers le mental. Et c’est notre attention qui la focalise. Notre attention ne peut se porter que sur une seule perception à la fois. Mais on ne conclut pas que la réalité est cette perception. Cette perception est une réduction du mental dans l’espace-temps de la réalité qui n’est pas une chose, mais la totalité.
La perception de notre mental, ici et maintenant, est comme un filtre sur l’infini et l’intemporel de la conscience. C’est une réduction de la réalité à travers un prisme.
Chacun a son filtre suivant ses conditionnements, sa localisation, sa temporalité.
Donc, il n’y a effectivement qu’ici et maintenant, mais cet ici et maintenant relatif ne peut être que la réalité absolue vécue à travers le mental. Le mental est donc une focalisation et une réduction de la conscience, qui prend cette forme finie et temporaire pour expérimenter quelque chose.

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