Voici certaines questions posées autour de la méditation. Les réponses données par Cyril Castaing ont été formulées dans un contexte particulier, il s’agit donc de les prendre avec précaution. vision

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Que signifie concrètement  de « rentrer dans la perception »?

Généralement, nous sommes perdus dans nos pensées sans en prendre conscience. Entrer dans la perception permet de revenir au perçu de l’instant, donc au moment présent.

Comment cela se déroule ? Prenons un son. Nous percevons ce son avec l’organe du sens approprié, ici l’ouïe. Notre mental va mettre une forme, une image à ce son puis le nommer pour l’identifier. A partir de là, nous allons fréquemment le comparer, le juger et y coller l’étiquette « j’aime » ou « je n’aime pas », en fonction de nos préférences totalement conditionnées par notre passé. Le « je n’aime pas » va créer une tension intérieure pour refuser cette perception qui, par la suite, se transformera en une émotion qui sera une tentative de libérer cette énergie bloquée. Et si nous bloquons l’émotion, nous allons renforcer cette tension et ainsi de suite…

La seule manière de mettre fin à toute cette mécanique est de la voir totalement. Nous devons clairement voir ce schéma se dérouler en nous, c’est notre seule liberté. La méditation permet cela. Comme si nous « zoomions » sur chaque étape qui habituellement s’enchaine à toute vitesse, de telle sorte que nous ne voyons même pas que nous ne sommes plus en contact avec le son mais seulement avec nos refus intérieurs.

La première étape de l’interprétation de la perception, qui sert à mettre une forme et un nom, est normale et indispensable pour que nous puissions fonctionner au quotidien en tant qu’être humain. Elle peut aussi être suivie d’une réaction normale de défense, lié à notre sens inné, organique, de protection sans quoi les dangers ne seraient pas perçus.

Mais la plupart du temps, il y a une intervention psychologique totalement inappropriée à la situation qui est seulement un résidu de tensions passées. C’est là que le « moi » intervient. Il est un complexe physico-psychique qui existe – en tant qu’entité individuelle – uniquement dans la pensée. Nous devons le voir clairement ; et s’il est vu, il disparaitra forcement à un moment donné, car il ne peut apparaitre que grâce à sa clandestinité.

Alors que signifie revenir à la perception ? Cela indique de revenir à la perception originale et de ne plus partir dans l’interprétation psychologique de la perception. Lorsque le son est perçu, forme et nom apparaissent. Si nous les voyons dorénavant en tant qu’interprétation et non plus comme la réalité, alors ils s’effacent et l’intervention psychologique ne préempte plus la perception.

A ce moment là, la perception revient de manière plus aiguisée, plus présente. Nous laissons la perception se déployer en toute liberté. C’est ce que l’on peut nommer la perception pure, c’est à dire épurée de l’interprétation mentale superflue. Dans cette expansion de la perception, qui n’affecte plus un sens mais notre totalité, la perception s’épanouit totalement. Nous sommes alors libre de la  perception. Nous « sommes un avec », sans conflit. C’est un état de paix.

Toutefois, ceci n’est qu’une étape. Car « un avec » signifie encore deux. Une dualité subtile mais toujours présente. Mais si nous restons tranquillement dans cette pure observation, nous perdons toute référence de nous-même et de donc aussi de l’objet.

La perception ne peut alors se maintenir en tant que perception, elle revient alors à sa source. Et qu’est ce que sa source ? La pure présence. Une présence sans objet, présente à elle-même. Ce n’est plus alors un état de paix, c’est la Paix.

Donc pour méditer nul besoin d’un endroit calme et joli au cœur de la nature avec le chant des petits oiseaux ?

On dit souvent que le petit moine vit à la montagne, alors que le grand moine vit en pleine ville. Bien entendu, la vérité est partout, pas seulement dans les endroits et les moments calmes.

Cependant, avant de la percevoir au milieu du vacarme, il est parfois plus aisé de la vivre dans la tranquillité, car celle-ci nous renvoie plus facilement à notre profonde tranquillité sous-jacente.

N’importe quelle perception peut nous mener à nous-même. Mais avant ce retour à la source, l’objet de perception nous renvoie la qualité qu’on lui attribue. Un environnement agité nous procure de l’agitation, s’il est calme il nous renvoie du calme. Cela ne signifie pas que nous devenions agités ou calmes, mais qu’il va influencer notre état physico psychique du moment. Toutefois il ne change jamais notre vraie nature qui est inconditionnée.

Lorsque nous observons un paysage grandiose et harmonieux, ces caractéristiques nous imprègnent car nous nous perdons dans les qualités de l’objet de perception. La nature a le pouvoir de nous ramener justement à notre profonde nature, comme une résonance. Chaque objet nous renvoie le type de son expression propre. C’est incontournable, mais si nous rentrons dans l’objet, de telle sorte que nous ne lui attribuons plus de qualités, de caractéristiques, alors nous sommes directement ramenés à notre source, qui est le calme même qui accueille tous les objets et dans lequel ils se déploient. Dans ce cas, que l’objet ait été catégorisé d’agréable ou pas n’a plus d’importance.

Vous prenez l’exemple d’un son que l’on observe, mais dans la vie courante, nous n’avons pas le temps d’observer un son si longtemps…

Tout à fait. C’est pour cela que les moments de méditation formelle sont des laboratoires de l’expérience, pour entrer plus profondément dans l’instant et comprendre ce dont il s’agit vraiment.

Ecouter un son, sentir une sensation, réciter un mantra, observer une respiration sont des exercices proposés pour dégager notre mental. Mais la vraie méditation ne se concentre pas sur un objet. Elle est l’accueil de tous les objets perçus.

Dans la vie quotidienne, si vous dites à votre interlocuteur : « Attendez je me concentre d’abord sur ma respiration puis je réponds à votre question après », vous risquez de passer pour un fou. En plus, vous serez complètement à coté de la plaque…

C’est pour cette raison que dans le quotidien, je pense que la clé c’est « être oui ». Ce « oui » laisse toutes les perceptions venir. L’attention est ouverte, totalement libérée. Cependant, le point important est de mettre l’accent sur l’ouverture, pas sur les objets.

Et comment mettre l’accent sur l’ouverture ? En laissant les objets être ce qu’ils sont, sans filtre. C’est, me semble-t-il, le secret de toute pratique spirituelle, mais nous passons souvent à coté car nous croyons que nous devons justement pratiquer autre chose de particulier, de plus spirituel, de plus compliqué. Or ce sont ces pratiques qui, au final, nous extirpent du présent.

Si nous voulons porter de l’attention à la respiration nous savons comment faire. De même pour n’importe quel objet. Mais comment porter de l’attention à l’attention elle-même ?

Je pratique depuis de nombreuses années mais force est de constater que lorsque des événements difficiles arrivent, je suis totalement démuni face à eux. Au point de me demander à quoi ont vraiment servi ces pratiques au final ? C’est un peu désespérant…

Oui. Je pense que c’est un constat que nous pouvons tous faire à un moment donné si nous sommes vraiment honnêtes et persévérants. Est-ce pour autant désespérant ?

Si c’est désespérant dans le sens de la perte de l’espoir d’autre chose que le présent alors c’est tout à fait bénéfique ! Car c’est à ce moment que nous pouvons faire un vrai pas intérieur – ou plutôt un pas en arrière – qui nous ramène à la réalité, au présent, à nous-même.

Tout d’abord, toutes ces pratiques, n’ont qu’un seul et unique but : être présent. Donc constater avec sincérité que nous sommes démunis est déjà une preuve de lucidité qui n’était peut-être pas présente auparavant. Nous cachons souvent cette réalité, surtout si nous « pratiquons » depuis longtemps, car cela apparait comme un constat d’échec. Auparavant, nous étions dans la non-conscience, voire le refus du désarroi, ou alors dans la croyance illusoire que notre pratique pouvait nous en éloigner.

Tant que nous croyons  pouvoir faire quelque chose ou pratiquer une technique pour sortir de ces moments douloureux, nous sommes prisonniers de la recherche de l’agréable. Or toute technique, toute pratique utilisée dans ce but est une échappatoire au moment présent et donc une contradiction avec l’objectif de toute pratique véritable : la présence.

Tant que nous croyons que nous pouvons échapper à la perception de la douleur, de la tristesse, de la peur, de la colère, de l’anxiété nous les renforçons. C’est lorsque nous ne prenons plus la fuite que nous découvrons que c’est cette fuite qui créé la souffrance dont nous pensons pouvoir échapper !

On pourrait donc dire que toute pratique sert à arriver à ce moment où toute pratique s’avère inutile, voire contre-productive, et que c’est ce constat qui nous fait abandonner toute résistance face au présent. Et dans ce cas, la présence que nous sommes s’extirpe de notre perception. Les sentiments se libèrent par notre acceptation mais au moment même où nous nous ouvrons à eux, nous sommes déjà libres d’eux. En fait, nous voyons même que nous l’avons toujours été mais que nous pensions le contraire…

Donc, oui, vous avez fait un très beau constat et ce désespoir est notre plus grande chance !

On entend souvent dans certains enseignements sur la méditation qu’il ne faut pas juger… Mais comment ne pas juger ?

Oui, c’est un point souvent soulevé qui mérite que nous approfondissions notre compréhension à ce sujet. Et en cela, la méditation fait naitre une compréhension qui nous permet d’y voir plus clair sur cette notion de jugement, ainsi que sur la comparaison et donc la notion de bien et mal au delà de tout dogme.

Cette question nécessiterait un développement assez long mais je me contenterai d’évoquer les points qui me semblent importants et qui sont en rapport avec la méditation sans trop rentrer ici dans des considérations philosophiques.

D’abord, voyons ce qu’est un jugement : Une catégorisation des perceptions à partir de notre mémoire, notre passé. C’est un ajout de la pensée sur une perception. Il est parfois utile pour notre quotidien ( cette fonction du mental permet de voir par exemple qu’un balai est plus efficace qu’une brosse à dent pour nettoyer le sol de notre maison !), mais trop souvent il créé une relation émotionnelle et personnelle avec la perception. Et en étant prisonnier de nos refus/attraction nous restons identifiés à une personnalité étroite, conditionnée et séparée.

Dans un premier temps, nous pouvons constater que nous jugeons en permanence, à propos de tout – et surtout n’importe quoi ! – sans que cela n’est souvent un intérêt pratique et fonctionnel. Mais ne cherchons pas à être sans jugement, sinon nous allons réprimer le jugement. Le jugement apparait, c’est donc un fait, voyons le comme tel et il perdra de son poids.

Trop souvent, nous disons qu’il ne faut pas juger, comme une attitude morale, mais c’est une absurdité ! La quasi-totalité de nos pensées actuelles sont basées sur des jugements. Voyons les simplement. A force de vouloir être une personne convenable, sage, gentille, nous devenons faux et réprimons tout ce qui n’entre pas dans la catégorie du « bien » selon notre point de vue – ou celui des autres. Vouloir être un sage qui voit les choses avec équanimité n’est pas l’objectif. La sagesse vient lorsque nous sommes libérés de tous les « il faut » intérieurs. Pour autant, cela ne signifie pas que nous sommes autorisés à faire ce qui nous passe par la tête dans n’importe quelle situation. L’interdit ne doit pas exister intérieurement seulement. A l’extérieur, nous devons connaitre les règles, et les suivre – ou non suivant les cas-  en toute liberté vis à vis d’elles.

En général donc, soit nous sommes pris dans le jugement sans même le voir, soit nous réprimons notre jugement et créons de fait un comportement souvent inadéquat. Alors accueillons d’abord notre jugement, mais laissons le pour ce qu’il est : un jugement subjectif. Dans ce cas, il perdra de son importance et s’il est sans intérêt pour la situation, il n’interviendra plus.

Un certain jugement est  donc nécessaire, mais qu’en est il « du bien et du mal » ?

Le jugement fait intervenir la notion « j’aime ou je n’aime pas » sur les événements, les situations, les objets ou les personnes. Nous faisons alors intérieurement un petit glissement intérieur, souvent inaperçu mais désastreux pour notre liberté : le « j’aime » devient « c’est bien » puis, avec un pas supplémentaire, « ce bien » devient parfois « Le Bien ». Et inversement pour ce que je n’aime pas qui devient parfois « le Mal ».

Pourtant voyons que nos notions du bien et du mal sont totalement conditionnées par notre histoire : notre vécu, notre famille, notre éducation, la société etc… Nous pouvons même constater – si nous ne sommes pas rigides et fermés – que notre bien évolue au cours du temps. Il est donc tout à fait relatif.

En remarquant ceci, nous pouvons donc déjà être plus souple et ne pas considérer que notre bien est le Bien. Et en voyant nos jugements pour ce qu’il sont : des pensées, des idées plus ou moins pertinentes, plus ou moins intéressantes nous leur donnerons moins d’importance et nous nous ouvrirons plus aux faits tels qu’ils sont et pas tels que nous les voyons à travers nos filtres des préférences.

Ainsi, petit à petit, beaucoup de ces jugements tomberont d’eux mêmes – et les notions de bien et mal avec – car ils ne sont que les résidus de visions étriquées, de nos blocages, de nos peurs.

Mais comment ne pas juger mauvais certains comportements inadmissibles ? Comment ne pas condamner les meurtres,  les camps de concentrations les abominations en tout genre ? Ne faut-il pas un jugement qui permet de distinguer le bien du mal ?

Effectivement, peut-on rester sans jugement face à certaines atrocités ? Peut-on les tolérer ? Certainement pas.

Mais nous devons d’abord peut-être nous poser la question du but pour lequel catégoriser en bien ou mal les événements ? « Bien » pour quoi ? « Mal » pour quoi ? Dans quel objectif ?

S’il y a un critère de jugement, le seul qui serait vraiment valable serait celui qui nous est le plus important : le bonheur, la paix, l’amour, certains diront l’union avec Dieu. Peu importe les mots. C’est le seul critère « universel ».

En reconsidérant les faits à partir de ce critère nous pouvons alors les juger en bien ou mal en rapport avec ce but. Mais nous voyons rapidement que les moyens pour parvenir à ce but sont très différents suivant les interprétations de chacun et c’est là que les problèmes commencent… Le bien des uns est le mal des autres. Les pires atrocités de l’humanité sont toujours arrivées lorsque certains ont voulu imposer leur vision du bien aux autres. Les idéologies qui veulent imposer leur bien ont toute menées à des catastrophes humaines.

Au contraire, si nous n’imposons rien, si nous restons ouverts face au bien et au mal, sans rien réprimer intérieurement, naturellement nos actions s’ajustent à la situation et ne peuvent jamais être vraiment mauvaises et créer des souffrances inutiles.

Ce à quoi nous ramène la méditation est un état plus naturel et spontané qui s’ajuste mieux à la situation dans son ensemble. Il y a une compréhension plus intuitive de ce qu’il est juste de faire. Et cette justesse ne se résume pas à des règles morales et rigides mais à la vérité unique de l’instant.

Mais effectivement, pour une société humaine, une vie en communauté, il est essentiel de définir des règles, des limites au tolérable. Et dans ce cas, tout ce qui cause des souffrances à autrui peut être catégorisé comme mauvais et donc répréhensible. L’échelle du bien et du mal pourrait ainsi être indexée sur la souffrance et la paix causés pour les êtres vivants dans le temps et dans l’espace…C’est donc un vaste sujet !

Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce sujet mais pour terminer nous pourrions méditer sur une citation de Rûmi :

« Par-delà la notion du bien et du mal, il y a un champ. C’est là-bas que je te retrouverai. »

Car le « paradis est perdu » à partir du moment où nous croquons dans la pomme de la connaissance du bien et du mal. Avant cette catégorisation des perceptions, nous sommes dans l’unité, sans séparation…

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